Jour 353 | Intimité décadente

Dekadente Intimität

Ça fait environ un mois qu'il fait au moins 28 degrés chaque jour à Düsseldorf. Ça fait aussi longtemps que je n'ai pas vu la pluie. Il fait chaud, mais chauuuuud, et parlant de chaud ! J'ai reçu aujourd'hui une proposition intéressante de la part d'Arthur, un intriguant mix entre l'Allemagne et le Kazakhstan, nouvellement arrivé à Düsseldorf depuis deux jours. En virtuel, on aurait dit une version améliorée du beau Moldave rencontré en avril. Donc, c'est oui ! 

Rendez-vous chez moi le samedi matin 10h30, on s'en va au lac Elbsee, un beau lac près de Benrath que j'avais découvert quelques semaines auparavant. Parle moi de ça, une date matinale et différente de la classique bière dans la Altstadt. Je suis responsable des courses (autrement dit, de la bouteille de rosé et du snack) et il est responsable du hamac. Il est là, à côté de la voiture avec son t-shirt bleu et sa manche tatouée. Le courant passe tout de suite, il est doux et sa voix aussi. J'embarque dans la voiture lettrée de l'entreprise pour laquelle il travaille et on roule une vingtaine de minutes vers Elbsee. Je suis la première personne qu'il rencontre dans ce nouveau chapitre pour lui. Sans savoir où ça va nous mener, c'est déjà un bon départ. Sans aucun tracas, je fais juste me laisser conduire, dans un silence déjà confortable, la tête dans le vent. Schicksal, il y a une place de parking exactement là où on a envie d'être. Je laisse l'expert nous trouver le meilleur spot entre deux arbres pour installer le hamac. 

Une fois le hamac installé, mes pieds nus et la bouteille de vin à l'eau, je m'assois dedans pour le tester et regarder la vue qu'on a. Ça va être confortable tout ça. Mais à ce moment, quelque chose qui attire l'œil bien plus que le lac lui-même m'obstrue la vue : lui, devant moi, qui enlève son t-shirt et révèle un immense tatouage symétrique qui lui couvre toute la moitié du torse. On voit bien qu'il aime ce qu'il me montre là, dans toute son assurance et sa nonchalance. Là, je jure que j'me suis tout de suite vue perdre le contrôle et tomber en bas du hamac pour aller rejoindre ma mâchoire qui était déjà à terre, mais quelques secondes après, il était dedans lui aussi. Avec son tatoo, sa peau douce et ses épaules qui me font perdre la tête. Évidemment, il n'y a pas de place définie dans un hamac, donc tu deviens instantanément un peu pogné sur l'autre. Avec plaisir, merci !



Les conversations coulent le plus naturellement du monde. J'apprends que c'est un athlète professionnel d'un sport dangereux qui a terminé sa carrière il y a environ 5 ans. Ouuuh, c'est badass ça. Pas de doute que je vais Googler ça assez vite en revenant à la maison. 35 ans et il semble avoir vu, fait et compris un tas de choses. Son histoire est l'une des plus intéressantes que j'ai entendues. Il est un curieux mélange entre spiritualité, intellect et mauvais garçon. Je comprends à travers les histoires que sa vie a pris un tournant complètement différent après quelques années derrière les barreaux. Je sais que les Allemands sont stricts sur les règles, mais je doute que ce soit le genre de sentence pour avoir volé un Ritter Sport dans un Kiosk. Je ne l'ai jamais su, et je ne demanderai pas les détails. Il pourrait parler, parler et parler, me raconter toutes les épisodes de sa vie, mais il ne le fait pas, il s'en tient à l'essentiel, au présent et au futur.

Autour de moi, mes sens perçoivent tout.

Le reflet du soleil sur le lac.
Les ombres qui bougent sur nos jambes et nos pieds entrecroisées.
Le hamac qui se balance doucement quand on fait le moindre mouvement.
Le bruit des canards dans l'eau.
Le bruit des feuilles dans le vent.
Oui, ce vent doux - ni chaud ni froid ni trop fort - juste parfait.
La musique poche sur les gros JBL des rednecks autour de nous qui n'ont aucune conscience qu'ils dérangent la nature.
L'odeur du énième joint fumé par mon partenaire.
La chaleur de son bras sur ma peau.
Les détails de son tatouage sur son avant-bras que je voyais maintenant de très près.
Les mouvements de son ventre pressé sur mon corps, à chaque inspiration.
Le souffle sur ma nuque, à chaque expiration.
Et sa barbe un peu itchy dans mon cou.

J'avais juste ça à faire, être bien. Je n'avais pas de plan, lui non plus, le plan c'était juste d'être là jusqu'à temps qu'on ait envie d'être ailleurs. Quand il y a ce confort qui s'installe dès les premières minutes, je n'ai pas envie de le laisser passer. Je me suis donc totalement laissée aller dans cette amazing vibe qu'il y avait entre nous, et je me suis endormie. J'ai vraiment apprécié qu'ils soit capable de rester en silence. Trop de gens se mettent de la pression pour parler tout le temps, faire la joke du siècle, ou raconter une histoire exagérée pour impressionner.

Quand la musique de David Getta sur la disco mobile des gens est devenue simplement insupportable, on a fait un move vers son appartement. Comment ça, c'est toujours des gens qui écoutent de la musique poche qui mettent leur musique la plus forte ? Nous avons changé de place deux fois parce qu'un premier groupe de gens avec des cheveux roses déteints et du eye-liner mal placé avait décidé de s'installer à un mètre de nous et de mettre du gros techno stressant. Mais à quel point c'est irrespectueux. Nous étions là avant. Comment ça, ces gens n'ont jamais appris à chiller ? D'ailleurs, depuis quand est-ce que j'ai moi-même appris à chiller comme je l'ai fait ce jour là ? J'ai toujours été à la course, mais depuis que je suis ici, je ne me suis jamais sentie sous pression, jamais dans l'urgence. On dirait que ce nouvel équilibre est arrivé tout seul quand j'ai posé les pieds en Allemagne.

Je prends une bouteille de vin au passage chez Rewe. Le vin, c'est que pour moi. Mon partenaire, lui, s'occupe de se stimuler les neurones avec son éternel weed et d'aborder toutes sortes de sujet sur la psychologie, la spiritualité, les états d'esprit et les autres dimensions. Oui, les autres dimensions, rien de moins. Je sais pas s'il existe une corrélation entre sa quantité de weed inhalée et ses propos, mais je m'en occupe pas vraiment, c'est curieux ce qu'il dit a propos de comment il voit la vie. Ce psychologue de métier complètement stoned avec qui je partage ce moment me challenge sur plein d'aspects. Quelle surprise que nos chemins se sont croisés, nous avec nos deux vies diamétralement opposées. Intéressant. À travers ces conversations uniques s'ouvre ma troisième bouteille de vin. Je me demande à ce moment si ce troisième bouchon qui saute est un pas de plus vers l'autre dimension toé chose.

Peut-être, parce que ladite conversation se poursuit dans sa chambre, à travers d'autres moments uniques et inhabituels. Malgré le quart de seconde qui sépare une pof des baisers intenses qu'on s'échange, malgré que la boucane lui sorte par le nez pendant qu'on s'embrasse, sa langue, sa salive et ses lèvres goûtent tellement bon, ça rend cette intimité totalement décadente. Sa salive est si goûteuse, j'essaie d'en prendre le plus possible. À travers tout ça, rien de dégradant, rien de déplacé, rien d'anormal, juste une lecture très véridique de ce qu'on avait envie de faire tous les deux, sans même parler. On est à la même température. Sa peau contre la mienne, avec son joint entre son index et son majeur, il me caresse les cheveux et les tempes et on ne fait que se regarder droit dans les yeux sans parler, comme si l'un voulait lire l'autre, lui transférer quelque chose. Intense. Bizarre. 

On fini par s'endormir probablement une ou deux heures avant que le soleil ne se lève de nouveau. Les matins après les nuits comme ça sont plaisants et plein d'affection, même par les hommes qui ne recherchent pas de commitment. Bisous dans le cou, bisous dans le front, caresses, cuillère, did you sleep well, what did you dream about, etc. Je ne voulais pas trop tarder le matin. On s'est sincèrement remerciés l'un l'autre, tous deux surpris de la belle connexion, avant de se faire un très long et fort câlin rempli de gratitude pour cet épisode partagé et s'embrasser une dernière fois avant que je franchisse la porte. Je quitte à pied, dans la fraîcheur du matin, en me demandant si les gens que je croise seraient capable de m'expliquer ce que je venais de vivre. Et ainsi, je me rend à la Haltestelle de Werstener Dorfstraße avec deux chansons dans mes souvenirs qui me rappelleront l'ambiance qui était bien présente pendant ce 24 h unique qui se termine. J'admire la sincérité de ce gars que je viens de rencontrer. Quelle authenticité.

 
Alors que je n'avais aucune attente de le revoir un jour, il m'invite le lundi suivant à le rejoindre une autre fois à Elbsee. Il vient me chercher en voiture et il est... explosif, c'est pas le même gars. La musique est forte, il vibre au son, avec sa casquette à l'envers, ses lunettes fumées et ses vêtements de sport, les fenêtres grandes ouvertes, il a hâte d'arriver, je le sens impatient. On trouve le même spot sous les arbres, et on installe les mêmes éléments essentiels : le hamac, le weed, la musique et la bouteille de vin. Voilà, on est prêts pour un autre 4h sans parler, à regarder le coucher de soleil dans les bras de l'autre. On ne fait pas ça car on développe quelque chose ensemble, on fait ça car ça nous rend bien tous les deux. C'est totalement gratuit ce genre de moment. De retour à son appartement, à partir de ce moment, immer nackt, kein problem ! Dans sa dimension, les vêtements n'existeraient juste pas je pense.

Je suis étendue sur ses abdos, la tête entre Jésus et le diable tatoués. On passe plusieurs minutes en silence sans parler, à manger des raisins, des poivrons et du hummus, à écouter des mélodies dont celles au piano tirées du Fabuleux destin d'Amélie Poulin. Déjà, c'est inusité. Le reste de la soirée l'était pas mal aussi, entre discussions décousues ou d'autres pleines de sens, gestes raides ou d'autres affectueux. Coudonc, est-ce qu'ils sont plusieurs dans ce même corps ? Il est one of a kind. Son comportement est difficile à prévoir. Tantôt sincèrement souriant, tantôt perdu dans ses pensées, tantôt brutal, tantôt doux, tantôt préoccupé, mais toujours honnête au point ou ça dérange. J'épargne ici un tas de détails sautés et sans queue ni tête dont je serai la seule à me souvenir. Moi qui a une petite vie bien rangée et une pensée rationnelle, je comprends pas cette attraction. Parfois, je ne suis pas 100% confortable, parce que ce genre de personnalité n'est vraiment pas ce qu'on rencontre tous les jours. Le lendemain, c'est avec des dizaines de becs dans le cou et sur les joues et une tape au derrière que je me rends, à travers la forêt, à la Haltestelle une seconde fois. Encore toute secouée par l'absurdité. 

Mais c'est quoi ce spécimen incongru, charmant et bouleversant. Respect, Arthur.


Le coucher de soleil du lundi sur Elbsee.

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