La colline des apparitions

Les apparitions de la Vierge à Međugorje sont rapportées dès le 24 juin 1981 et durent encore de nos jours. Ce jour là, six enfants de la paroisse voient sur la colline Podbrdo une très belle jeune femme qui porte dans ses bras un bébé. À la fois surpris et effrayés par la nature inhabituelle de ce qu'ils venaient de voir, ils ne s'en approchent pas. Le lendemain à la même heure, les enfants se sentent attirés de nouveau vers l'endroit où ils ont vu cette dame la veille, qui se présente devant eux comme étant la bienheureuse Vierge Marie. Dès que le mot se fait savoir, les foules accourent vers la colline Podbrdo, renommée de façon populaire depuis : la colline des apparitions. Depuis ce jour et encore aujourd'hui, les six voyants parlent d'apparitions quotidiennes de la Sainte Vierge, qui leur transmet des messages destinés à leur paroisse, et éventuellement au monde entier. 

Malgré l'absence de preuve surnaturelle officielle, les vertus spirituelles observées à cet endroit sont jugées positives pour la foi des croyants et reconnues par le pape François en 2019. Aujourd'hui, Međugorje est visitée annuellement par des millions de pèlerins et ses propriétés spirituelles sont comparables à d'autres endroits bien connus comme Notre-Dame de Fátima, au Portugal, ou Notre-Dame de Lourdes, en France.

Affichage relatant un peu d'histoire dans les jardins autour de l'église. J'sais pas, j'ai pas compris ce qui s'est passé entre 1916 et 1985

Des milliers de fidèles réunis pour la messe en cette fin de journée.

Se rendre à Međugorje n'a pas été une mince tâche. Avec les horaires de Veljko en main, je me rends au bureau de Globtour au moins une heure avant l'heure prévue. C'est comme des bus indépendants du système de la ville et qui font de longues distances, comme Split ou Zagreb. Une madame se trouve dans un petit bureau où la lumière entre à peine à travers les stores horizontaux. Les murs sont en lattes verticales de bois brun foncé, ça n'a jamais été rénové. Elle se trouve derrière un vieil ordinateur beige, entourée de papiers. Je lui demande l'horaire du bus qui se rend à Međugorje. Moi je pense que la réponse va venir dans les 3 prochaines secondes après une petite recherche rapide sur son programme sur l'ordi. Non, non, elle ouvre un grand cartable à anneaux, tourne des pages par dizaines. Tout est écrit à la main là dedans, avec une écriture cursive et bien droite. Quelqu'un s'est vraiment appliqué. La madame se pose beaucoup de questions dans son cartable pour finalement me donner une réponse. Ok, le bus passe à 17h15 et j'arriverai à la station de bus environ 45 minutes plus tard pour environ 3 €. 

Mais mon problème, c'est que j'ai vraiment envie de revenir de Međugorje. Je ne veux pas juste m'y rendre. Quand j'ai dit à la dame que je devais surtout savoir s'il y avait bel et bien un trajet de retour et que c'était pour moi une question de sécurité, elle n'a pas pris ça à la légère. Elle s'est mis à faire des téléphones ici et là. Un bus passe probablement soit à 20h, soit à 20h30, qu'elle me dit. Et il arrivera de Split, en Croatie. Elle me suggère de n'acheter que mon billet aller, pour ne pas avoir payé 3 € de trop au cas où le bus ne passerait pas au retour. Que c'est pas rassurant. Si le bus ne passe pas, mon plus grand souci ne sera pas d'avoir perdu 3 €... Bon, alors je me lance. J'obtiens mon petit billet en papier carbone, toujours.

C'est pas terminé, le bus de Globtour ne passe pas à la gare de Mostar, pas loin certes, mais pas ici. La dame doit m'expliquer. "Tu vois là bas, après la rangée de bus ? Il y a une clôture. Tu passes à travers la clôture et ensuite tu tournes à gauche. Tu vas traverser la rue à l'intersection et tu verras un mur rouge avec une murale de la Red Army. C'est pas là. Face à ce mur, tu vas te diriger vers la droite et tourner le coin du premier bâtiment que tu vas dépasser. C'est là, c'est sur ce coin". Donc, je me rends au coin en question. Il n'y a aucune indication, pas même un ti poteau de Globtour, pas même une marque au sol ou dans la rue. Bon, ben il ne reste qu'à attendre. 

Le bus arrive, avec quelques minutes de retard et je monte dedans. C'est un gros bus voyageur, pas un bus de ville. La route est belle, sinueuse. J'arrive à ma destination, je sais que je n'ai pas beaucoup de temps, je passe devant des dizaines de petites boutiques et de kiosques qui vendent des objets à l'effigie de la Vierge. Décidément les apparitions mariales ont eu un petit effet marketing qu'on ne peut ignorer. J'ai pris un bracelet, des petites médailles, une pochette à maquillage.

L'église San Giacomo de Međugorje possède un autel extérieur et une zone de prière d'environ 5 000 places disposées en demi-lune. Ceci sert de lieu de rassemblement pour les grande célébrations. Et ce soir, c'est plein. Des milliers de personnes sont là, rassemblées. Et moi je n'avais même pas regardé les horaires des messes. La chance de pouvoir vivre ça. L'église est modeste, mais ses haut-parleurs ne le sont pas. Du gros calibre à rendre la sono d'ÎleSoniq jalouse. La voix du prêtre retentit à 360 degrés avec beaucoup de clarté. Je visiterai l'intérieur de l'église plus tard. Je veux me rendre à l'autel et pour ce faire, je passe à gauche de l'église. Tout le long, une lignée de prêtres avec de grands foulards mauves (est-ce que ce sont des prêtres, je ne sais pas s'ils ont un titre spécial). Ils sont assis à quelques mètres l'un de l'autre. Des gens se confessent, et les autres attendent dans la file de leur choix. Polonais, Anglais, Français, Italien, Espagnol, toutes les langues dans lesquelles on peut se confesser sont écrites derrière chaque prêtre. 

Salut, la messe est commencée, j'arrive !
 
L'église San Giacomo de Međugorje.

Tous ces gens qui étaient au courant de l'horaire de la messe et pas moi.

La demi-lune de prière est pleine, il ne reste pas une seule place, à chaque fois que je semble voir une place vide, c'est que quelqu'un est à genou devant. Derrière la foule attentive, il y a un terrain vague et un petit cimetière. J'ai marché un peu dedans. Il ressemblait à bien d'autres cimetières catholiques que j'ai déjà vus. Par contre, au centre se trouve la statue du Christ ressuscité, du sculpteur slovène Andrija Ajdic. Celle-ci est bien particulière. C'est une statue de bronze qui représente un très grand Jésus les bras levés, en signe de triomphe. Au sol, un socle, de bronze également, avec sa silhouette imprimée, comme s'il venait tout juste de sortir de là. L'environnement autour est organisé de sorte qu'on peut y passer du temps et contempler la scène dans des estrades circulaires. Les jardins autour forment le chemin de croix. Pour les pèlerins qui ne peuvent pas se rendre au sommet de la colline des apparitions, ils prient le chemin de croix dans cette zone. Par manque de temps, je ne me suis pas rendue au sommet de la colline moi non plus.

Du genou droit de cette sculpture spéciale s'écoule continuellement un liquide. Ici, on aime penser que c'est une larme. Le phénomène a été scientifiquement étudié par les chercheurs. Le liquide qui sort de la sculpture est composé à 99 % d'eau et contient des traces de calcium, de cuivre, de fer, et autres minéraux. Rien d'anormal. Environ la moitié de la sculpture est vide à l'intérieure et il est raisonnable de penser que cette « larme » est le produit de la condensation. Toutefois, environ 1 litre d'eau par jour s'écoule de la statue, ce qui en fait une quantité largement supérieure à ce que l'on attend normalement d'une condensation normale. Si nous croyons que le Christ peut choisir de faire son oeuvre à partir du ciel de la manière de son choix, pour beaucoup, ceci est une manifestation bien réelle de sa présence. L'Église ne s'est pas prononcée sur la nature de ce phénomène. Devant moi se succèdent des pèlerins, qui font respectueusement la queue pour s'approcher de la statue, à côté de laquelle est posé un petit banc pour atteindre le fameux genou. Les gens essuient la goutte, les uns après les autres, avec des lingettes brodées de prières (là je viens de comprendre pourquoi les petits magasins vendaient autant de petits kleenex réutilisables). Le silence doit être respecté en tout temps dans ce lieu. Je regarde tout ça en me demandant quelle est l'histoire de chaque personne, qu'est-ce qu'ils sont venus chercher et quels sont les défis pour lesquels ils demandent de l'aide ? Un proche malade ? Une famille brisée ? Un enfant disparu ? Est-ce que certains sont simplement venus exprimer leur gratitude ? Moi ça serait plutôt ça, mais je n'ai pas osé essuyer la larme. Je pense qu'il y avait un peu de gêne oui, mais aussi parce que je n'ai jamais été pratiquante, pourquoi faire soudainement un geste aussi symbolique. Je pense que je me serais sentie imposteur.

La statue du Christ ressuscité et une longue lignée de pèlerins qui attendent leur tour pour essuyer la larme qui coule depuis son genou.

J'ai finalement assisté à la fin de la messe sur un banc de bois, à l'ombre de grands arbres, bien au centre. À un moment, la foule se met à grouiller, tout le monde s'agenouille. Moi incluant. Une prière en bosniaque est récitée, en chœur. L'énergie est bien réelle. Et puis la messe se termine sur une très belle chanson chrétienne. C'est mon moment pour visiter l'église. Les chants se poursuivent à l'intérieur. J'ai pris place et j'ai été envahie d'une très grande émotion. C'est vraiment spécial tout ce que je vis depuis que je suis arrivée dans cette ville. Je suis tellement reconnaissante d'être en Bosnie-Herzégovine et d'avoir pu venir à Međugorje. J'étais dans mon banc d'église avec des grosses larmes, sans gêne, et j'écoutais les belles chansons. Les gens se succédaient et se mettaient à genou devant une statue de la Vierge. J'avais vraiment le cœur très gros, immense même. J'ai tellement pensé à papa. J'avais vraiment envie de lui envoyer tout ce que je voyais, là où il peut bien être. J'en ai emmagasiné, de cette puissance sacrée. À l'extérieur, le soleil commençait à se coucher, et la lumière était jaune douce. J'ai marché sur le parvis de l'église, je me suis assise sur le sol. Je devais avoir l'air full croyante avec mes yeux rougis tournés vers le clocher et la lumière juste derrière. Que c'était beau cette chanson. On n'entend pas souvent une chanson religieuse aussi fort, qui s'impose comme ça, au milieu de la ville, à qui se trouve dans son rayon de près ou de loin.

Je vais devoir rentrer bientôt pour mon bus de 8h (ou 8h30, nul ne sait, pas même Globtour eux-mêmes). Je refais le chemin inverse et je vois mon bus au loin. Il est déjà au kiosque. J'ai peur de le manquer. Je cours un peu, car une autre fille cours aussi en avant. J'ai acheté mon billet de papier carbone (again) et je suis entrée dans le bus. Le chemin de retour se fait à moitié dans la noirceur. Je me souviens que j'avais les yeux pleins d'eau, donc je ne voyais pas les chiffres en rouge sur le cadran numérique en haut du chauffeur. Je devais avoir une date ce soir, mais le gars insistait pour partir en voiture fumer du weed dans les montagnes de l'Herzégovine. J'le sentais pas. Non merci. Je suis arrivée à Mostar, et je vais aller raconter tout ça à Veljko, c'tun meilleur plan. Après tout, c'est lui qui m'a permis de venir ici. Et comme tous les soirs, il était là, avec sa cigarette, pour me partager sa journée et m'écouter raconter la mienne. Je vais m'en souvenir longtemps.

Le kiosque de Globtour, où il y a une vraie personne pour vendre des billets carbone.

Commentaires