L'enfance dans la guerre
La guerre de Bosnie-Herzégovine n'est pas si lointaine. Entre 1992 et 1995, j'avais moi-même entre 3 et 6 ans. C'est donc dire que les gens de mon âge aujourd'hui étaient pleinement conscients de ce qu'ils vivaient pendant la guerre dans leur pays. En 2010, un enfant qui a vécu la guerre, Jasminko Halilović, a initié un recueil de témoignages en lançant une question simple sur Internet :
« Que représente pour toi ton enfance pendant la guerre en une phrase ? »
Les réponses ont afflué et plus d'un millier de récits ont été reçus. Ces souvenirs propres à chacun ont été rassemblés dans un livre, puis inspiré un musée : Le musée de l'enfance dans la guerre / War Childhood Museum. Le musée marque tous ses visiteurs et a même reçu le Prix du Musée en 2018, une reconnaissance décernée à travers toute l'Europe. Dans le livre, on y trouve des citations qui donnent froid dans le dos. :
« J’ai appris à différencier le sifflement d’un obus de celui d’un sniper avant d’apprendre les tables de multiplication. »
« Hiver 1992... Il n'y a plus de bois... C'est au tour des livres... d'être brûlés. Je termine ma lecture et je jette le livre dans le feu. C'est horrible, mais il faut faire cuire le pain. »
« Celui qui avait de bon rollers ou une bonne planche de skate devait les investir dans la fabrication de chariots pour transporter les bidons d'eau »
Tout enfant qui a grandi dans la guerre a sa propre histoire. Elle peut être triste ou heureuse, ou bien les deux à la fois. Un gars de mon âge que j'ai rencontré, qui était lui aussi un enfant de la guerre, a grandi dans la recherche constante de moments d'adrénaline et décrit la guerre comme la plus belle période de sa vie, pour les amitiés qu'il a nouées, pour les jeux fous et risqués auxquels ils s'adonnaient.
Le musée est tout récent, il a ouvert ses portes en janvier 2017 et semble être tenu et administré par des jeunes adultes. La collection du musée, que j'ai visité une fin d'après-midi, compte plus de 6000 objets ayant appartenus à des jeunes ayant vécu le conflit. Une cinquantaine sont exposés, constamment en rotation, une balançoire de bois, des petites et grandes peluches, des vêtements, une petite radio, des emballages de chewing-gum, des bandes dessinées, un peu de tout. Il y a même la structure détruite d'un but de soccer qui était installé dans un parc et qui a reçu une bombe. C'était assez poignant comme visite car les histoires sont racontées à la première personne, dans l'audio-guide et sur les inscriptions à côté des objets. En lisant le nom et la date de naissance de ces personnes, je remarque que la plupart sont de ma génération et ont grandi entre le milieu des années 1980 et le début des années 1990.
Elma, née en 1987, a fuit Sarajevo avec sa mère pour se rendre en Croatie en 1992 dans le dernier convoi de réfugiés de femmes et enfants. Son père est resté à Sarajevo, espérant que la guerre ne dure pas longtemps et qu'ils seraient tous bientôt réunis. Après que le convoi soit arrêté à Ilidža (vraiment encore très près de la ville, là où se trouve l'aéroport), Elma et sa mère ont passé les trois jours suivants dans une vieille voiture, en compagnie de sa tante et de ses cousins et cousines, en route vers Crikvenica, dans le pays voisin. Elle a passé les mois suivants à attendre une lettre ou un appel de son père lui annonçant que la guerre était terminée. Ça a pris neuf mois avant que son père puisse finalement les rejoindre à cet endroit, la guerre étant toujours aussi violente que lors de leur départ. L'objet d'Elma dans le musée, c'est la montre de son père, qu'elle avait gardée et qui symbolise le temps à attendre leur réunion.
Boris, né en 1988 a offert au musée une petite lampe à l'huile, qui était sa seule source de lumière durant les années de guerre. Il a tout fait avec cette lampe. Il appris à lire, il a joué, il allait aux toilettes avec. Au lieu de traîner un toutou, il traînait une lampe dans son quotidien.
Filip, qui avait 11 ans au moment du conflit, voulait conserver un souvenir de quelque chose qui était complètement nouveau en Yougoslavie : l'aide humanitaire. Lui et ses amis riaient à l'époque, en se disant que, dès le lundi suivant, ce serait fini. Il a donc conservé une première canne de conserve. Mais, la crise n'était pas terminée le lundi... et plusieurs autres cannes ont suivi. Régulièrement, des marques et aliments qui n'avaient jamais été vues arrivaient en Yougoslavie. C'était une excellente raison de conserver les emballages. Au fil du temps, la collection de Filip prenait de l'ampleur. Il se demanda quand est-ce qu'il devrait arrêter. Il a donc décidé de continuer de tout collectionner au plus tard jusqu'à son entrée dans le livre des records Guinness ou jusqu'à la fin de la guerre. Grâce aux journalistes qui visitaient Sarajevo, il a été en mesure d'envoyer une lettre à Guinness et a continué de collectionner les emballages en attendant une réponse. Et il l'a fait.
J'ai acheté le livre directement au musée, en français. Je l'ai ramené chez moi, dans le confort d'un pays qui a toujours été sûr, et en sachant que je l'ai pris exactement là où tous les souvenirs qu'il recèle se sont produits. Des souvenirs vus et vécus par des enfants qui auraient du avoir la même enfance que moi, des souvenirs qui peuvent même être beaux malgré l'atrocité.
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| L'entrée du Musée, un peu à l'écart du centre-ville. |

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