Stari Most

Le lendemain très tôt, je quitte ma belle chambre au centre de Sarajevo à 6h du matin. Les livraisons de fruits et légumes commencent tout juste, au dépanneur en bas de ma fenêtre. Il pleut, je prend le tramway jaune tout neuf. Drôlement, aucune ligne de tramway ne se rend directement à la gare, il faut que je marche 6-8 minutes depuis l'arrêt le plus proche. Ça parait que le train n'est pas un moyen privilégié ici, personne semble avoir besoin d'aller à la gare. Au ticket office, la même madame de la veille est là. Elle est la seule responsable de la file de gens qui veulent acheter ou collecter un billet ce matin. Imagine si la gare de Düsseldorf n'était gérée que par une seule personne dans un cubicule pour les gens qui veulent acheter des billets pour les trains d'aujourd'hui. Il y a une trentaine de personnes devant moi, mais j'comprends pas, je l'ai déjà acheté moi mon billet. Pleine de culot, je passe toute la file sans savoir si c'est vraiment ce que je devais faire. Je récupère finalement mon billet avec mon numéro de commande en ligne. Mon billet est dans une petite pile d'une douzaine de papier. Il est copié au papier carbone, avec mon nom écrit à la main sur un petit papier broché. L'achat en ligne, c'est donc ça.

J'ai tu l'air contente d'être à Mostar !

Mon billet de train Sarajevo-Mostar.

Je suis arrivée beaucoup trop tôt sur la plateforme, tôt comme si je prenais un vol international presque. Je me suis faufilée dans un couloir parce que j'ai suivi quelqu'un avec un sac à dos, ce qui me donnait le cue qu'il se rendait aussi au Peron. D'habitude, on suit la foule. Ici à la gare de Sarajevo, il n'y a pas de foule. Il n'y a aucune activité sur ce Peron, aucun écran, aucune indication ou horaire, aucune publicité géante. Que des cartons avec des noms de villes affichées. Je pense que je suis à la bonne place. Mon train arrive et il n'a rien d'écrit dessus. J'entre dans le train, j't'un peu stressée, je ne vois nulle part un seul indice me confirmant que je suis dans le bon train, à part qu'il est à l'heure. J'ai demandé à un monsieur. Ma phrase ben basic : Mostar ? Un hochement de tête comme réponse me suffit pour me rassurer.

La route est belle, il pleut un peu, moins que ce matin. Je trouve le climat en Bosnie-Herzégovine plaisant. Même quand il pleut, il fait chaud et je me rend à peine compte qu'il ne fait pas soleil. Là, dans les montagnes que traverse mon train, ça a l'air brumeux et frais. J'aimerais ça être déposée au milieu de la montagne et être totalement loin de tout dans un pays inconnu. Dans le train, j'arrête pas de m'auto-localiser pour savoir si je suis sur le bon chemin. J'ai fais quelques recherches pour savoir ou aller déjeuner à Mostar.

L'équivalent des écrans numériques ici, c'est ça.

Quelque part sur la route scénique entre Sarajevo et Mostar.

Mon train. Les trains, c'est toujours aussi beau dans chaque pays.

Ici à la sortie du train, une gare vide où il faut juste passer sur les rails, comme ça, sans surveillance.

J'ai trouvé un restaurant dans le centre, qui est décrit pour avoir la meilleure assiette de brunch oriental. Let's go. J'ai genre vraiment envie d'un énorme déjeuner, pas seulement d'un croissant-café. Il y avait des travaux sur la rue principale, mais c'est pas trop régulé comme ici. J'aurais pu facilement tomber dans un trou et recevoir un coup de pelle mécanique parce que les gens, les chars et les chatons circulent carrément sur le chantier. Avec mon petit sac de ville, ma jupe longue et une toune bosniaque dans les oreilles, je me trouve bonne d'arriver dans une autre ville et d'avoir réussi mon déplacement. Ça n'en prend pas gros pour être fière de soi en voyage. Je ne suis pas une grande voyageuse dont la zone de confort est large d'expérience. Dans un monde routinier, on n'a pas souvent accès à de la nouveauté. Arriver dans une nouvelle ville, ça me fait sentir vraiment présente. Tout est nouveau. Tout est à découvrir. Quel bon feeling ! 


J'arrive toute seule dans ce grand lobby. Après avoir marché dans des rues toutes défaites entre la gare et le centre-ville, le plancher fait en mosaïque du resto et ses petits poteaux de style Hollywood à l'accueil changent le décor. On me guide chaleureusement sur la terrasse en bas, avec une vue sur le fameux pont Stari Most, qui relie les deux parties de la ville au dessus de la rivière Neretva. Il y a une petite brise sur la terrasse, maudit que je me sens bien. Un gars cute en diagonale, aussi seul comme moi, mange le déjeuner oriental pour lequel je suis venue, carafe de vin et verre à la main. Avoir su, je l'aurais bien mangé avec lui ce déjeuner, mais je l'entends parler bosnien au serveur. Mes chances sont dead. 

Je commande un jus d'oranges fraichement pressées pour commencer. Le serveur revient et remarque mon accent francophone. Il me demande si je viens de la France, ce à quoi que je répond que non, je viens de la partie francophone du Canada. Le gars cute lève les yeux et me dit : Heeeeyyy, j'habite à Gatineau moé ! Je m'attendais à tout sauf entendre un vrai bon accent queb sur une terrasse ici. Il m'invite à le rejoindre. J'aurai finalement partagé le reste de mon déjeuner, sa carafe et un verre de mousseux avec cet étranger québécois. Il avait une meilleure table que moi, donc j'ai pu en profiter aussi. À un moment on a entendu la prière retentir à partir des différentes mosquées d'une rive à l'autre de la Neretva. Toute la terrasse est devenue silencieuse et attentive. Respect. J'ai tout mangé, ça n'avait pas de sens l'abondance de nourriture devant nous. Probablement une ration d'un mois pour une famille complète en temps de guerre...

The déjeuner oriental.

Donc, cet étranger québécois, c'est Dario, de quelques années plus vieux que mois, né à Sarajevo et immigré avec sa famille au Québec pendant la guerre. Fumeur, les cheveux aux épaules un peu grisonnants, la barbe de plusieurs jours, pas trop soigné de sa pilosité, irrégulièrement tatoué et à la personnalité vraiment sautée. Il était revenu quelques jours pour une visite annuelle dans le patelin de son enfance et prend l'avion pour Montréal demain. Je quitte le restaurant avec, en direction de chez Oskar, sa recommandation, un bar à shisha qu'il m'a vendu comme le meilleur spot en ville. Le vin et le mousseux à 10h le matin fait bien son effet. On est un peu feeling dans la rue et on rit comme des fous, on a le même humour. Il parle vraiment fort et tellement québécois que ça rend toute cette situation drôlement inusitée. Il aborde tout le monde dans les bazars en bosnien et déambule en me tenant la main comme s'il trainait sa femme d'outre-mer. 

Le célèbre pont Stari Most forme une belle arche au dessus de la rivière et sa construction en dos d'âne est une prouesse technique de l'an 1566 qui lui a permis de survivre à tous les conflits, à l'exception du dernier. Quelle perte... Le 9 novembre 1993, il fut détruit par les obus. Le monde entier, choqué, a vu cela comme une rupture des liens entre les peuples musulmans, catholiques et orthodoxes qui y cohabitaient si bien. Il fut reconstruit entre 2001 et 2004, avec les pierres récupérées au fond de la rivière, dans le respect de son architecture originale et des techniques de taille de pierre d'autrefois. C'est vraiment un très beau pont, situé dans un cadre tout aussi enchanteur. Il arrive que des personnes sautent de ce pont d'une hauteur de 29m. Bien que des téméraires s'essaient chaque année au grand risque de blessures ou de mort, ces sauts qui attirent les touristes sont réalisés par des plongeurs professionnels. Ils agacent la foule en se tenant de l'autre côté de la rampe en wetsuit, annoncent qu'ils sauteront après avoir amassé une certaine somme d'argent, collectent les touristes qui n'attendent que de voir un saut live devant leurs yeux, font leur cascade et recommencent. Chaque fois que je suis passée sur ce pont, c'était le même gars qui sautait. Dario a donné, je sais pas, genre 50 $ au gars pour qu'on puisse avoir la première place pour voir filmer son saut. Chose promise, chose due. 

La rivière Neretva.

Le point de vue depuis le déjeuner.

Moi, sur le Stari Most et la vue magnifique des deux rives de la Neretva.

Le gars qui plongeait tout le temps et Dario. 

Chez Oskar, on prend une bière, une autre et une troisième. Puis un ami de Dario se joint à nous. J'ai oublié son nom, mais il était agent de joueurs de soccer professionnels, ce qui semblait être une carrière qui ramenait pas mal de bidous, ici appelés des marks convertibles (BAM). C'était ben relax sur cette terrasse cachée presque vide avec des balançoires et des coussins rouges. J'avais que ça à faire, chiller à Mostar en attendant l'heure du check-in de mon hébergement trouvé ce matin même sur Booking. Son ami règle généreusement la facture, nous quittons vers 15h00 parce que Dario doit prendre le train. Il m'a trouvé une petite lampe d'Aladin en traversant le bazar. J'en avais vu plusieurs dans les kiosques et j'en voulait une. Je la trouve trop belle ! 

Chez Oskar.

Ma toute petite lampe de génie.

Je me suis fait aborder dans la rue par deux jeunes filles qui ont déterminé sans trop de difficulté que j'étais une touriste et donc que je pourrais répondre à leur vox-pop dédié au tourisme à Mostar. Ce que j'ai fait avec plaisir et beaucoup de concentration pour ne pas avoir l'air sous l'effet de l'alcool en milieu d'après-midi dans un projet scolaire. À quelque part, je suis dans une vidéo, interviewée par deux étudiantes de 10-11 ans, en train de dire que je viens du Canada, que j'aime la Bosnie-Herzégovine depuis que j'y ai mis les pieds il y a 48 heures, et que j'ai mangé des ćevapi et des burek. C'était pas mal le contenu de mon intervention. J'ai retrouvé Dario quelques mètres plus loin en train de se chicaner avec des locaux parce qu'il était trop bruyant (no joke... j'les comprend quand même). Nous avons continué notre marche en riant, bras dessus, bras dessous, à photobomb les clichés des touristes jusqu'à la porte de mon logement. Au revoir à toi, bon retour à Gatineau, agréable étranger fou qui me couvre de bisous avant que l'on se sépare.

Je suis accueillie par l'hôte elle même. Elle me fait visiter l'endroit. J'ai le jackpot ! Une chambre spacieuse juste à moi, avec une grande porte patio qui donne sur une terrasse partagée ensoleillée. Je m'installe, je prends ma douche et je vais me promener. Avant de partir, j'ai rencontré un homme du Montenegro. Veljko de son prénom. Il réside aussi à la même auberge que moi. Un homme calme qui est ravi de pouvoir pratiquer son anglais et qui fumait sa cigarette sur la terrasse pendant que je buvais le thé avant de partir. Ce soir, j'erre dans les petites rues de Mostar, entre murets et ruisseaux. Je traverse des petits ponts de pierre où je sens chaque roche ronde et lisse sous la semelle de mes vieux espadrilles. Je suis arrêtée à l'épicerie au retour, pour prendre quelques snacks pour demain. J'ai réservé sur Get Your Guide une journée de 8 heures avec un guide local pour aller visiter des endroits un peu plus en retrait autour de Mostar. 

Je ne pouvais pas demander mieux comme endroit. 

Des terrasses à même le ruisseau qu'on entend couler sans arrêt.

J'adore l'effet de marcher sur ces galets.

Le magnifique Stari Most by night.

Commentaires